Sunday, August 26, 2007

Algérie : une ambition de puissance régionale, selon « Le Monde »


Par Le Monde, le 09/07/2007

Avec ses réserves de change en augmentation constante grâce à la hausse du cours des hydrocarbures (90 milliards de dollars fin juin, soit 66 milliards d'euros), l'Algérie est courtisée comme jamais.

Américains, Russes, Européens, pays du Golfe et Asiatiques s'y bousculent pour tenter de rafler de fabuleux marchés. Après un long isolement dû à la "décennie de sang" (1992-2000), Alger a fini par retrouver sa place dans le concert des nations.

L'embargo de fait sur les ventes d'armes, plus ou moins appliqué par les Etats-Unis, l'Union européenne - la France en tête - et la Russie, semble loin à présent. L'Algérie n'a plus de mal à se procurer les armements qu'elle réclamait à cor et à cri, au motif qu'il lui est impossible de rétablir la sécurité sur l'ensemble de son territoire, notamment sur son immense frontière sud, avec un matériel obsolète. La voilà en train de se doter des moyens de devenir "la" puissance régionale, pourvue d'une défense à la mesure de sa dimension géographique, et de son statut de cinquième pays producteur mondial de gaz et de treizième producteur de pétrole. Un leadership qui ne manque pas d'inquiéter ses voisins, le Maroc surtout, mais aussi la Libye.

En matière de ventes d'armes, la visite à Alger du président russe Vladimir Poutine, en mars 2006, a constitué un tournant. Un contrat d'un montant d'environ 6,3 milliards de dollars a été finalisé à cette occasion. Moscou a conclu la vente de plusieurs dizaines d'avions de chasse et de combat, de batteries de défense antiaérienne dernier cri, de centaines de chars de combat, et de deux sous-marins. La livraison de ce matériel devrait s'étaler sur quatre ans.

Dans le "deal" conclu en 2006 avec le président Poutine, l'Algérie a obtenu l'effacement de sa dette auprès de la Russie. Un passif estimé à 4,7 milliards de dollars et qui représentait 25 % de la dette extérieure algérienne. Mais il ne s'agissait que de la première partie du "contrat du siècle" réalisé par la Russie avec Alger. A en croire la presse russe, un autre marché est en cours de négociation depuis mars, pour une valeur de 7 milliards de dollars : des chasseurs-bombardiers Soukhoï supplémentaires, des Mig 29, des chars et des systèmes antiaériens Pantsir. Egalement à l'ordre du jour : une frégate porte-hélicoptères - une première - et la construction de navires. Si ce second contrat est conclu, le montant global des ventes d'armes russes à l'Algérie s'élèvera donc à presque 14 milliards de dollars. Alger deviendrait ainsi le premier client de Moscou pour les ventes d'armes, dépassant l'Inde, la Chine et le Venezuela.

A l'époque de l'Union soviétique, la coopération entre Moscou et Alger dans le domaine militaire était importante - l'armée algérienne est d'ailleurs essentiellement équipée de matériel de l'ex-URSS - mais jamais, depuis l'époque soviétique, Moscou n'avait réalisé une opération d'une telle ampleur.

L'autre volet de la coopération algéro-russe concerne le gaz. En août 2006, le russe Gazprom et la Sonatrach ont conclu un accord concernant la prospection et l'extraction de gaz en Algérie, ainsi que la modernisation du réseau algérien de gazoducs. Selon le mensuel Arabies, les deux compagnies, fournisseurs incontournables du marché mondial, envisagent d'agir de concert pour préserver leurs intérêts. Cette entente préoccupe de nombreux pays européens, qui redoutent de voir apparaître une "OPEP du gaz".

Soucieuse de garder son indépendance, l'Algérie veille, quant à elle, à diversifier ses partenaires, tant sur le plan économique que politique. Les Etats-Unis ne manquent pas l'occasion, depuis deux ans, de souligner son "rôle important" à l'échelle régionale. Lutte antiterroriste, manoeuvres militaires conjointes, échanges de visites de haut rang, signature, le 9 juin à Alger, d'un protocole d'accord sur le nucléaire civil... Washington et Alger coopèrent activement.

Mais c'est dans le domaine énergétique que les Américains pèsent le plus. Ils sont le premier pays investisseur étranger en Algérie, avec 369 millions de dollars investis en 2006, essentiellement dans le secteur pétrolier. Ils sont aussi le premier client de l'Algérie (14 milliards de dollars d'achats, exclusivement des hydrocarbures).

Lors d'une visite aux Etats-Unis en 2006, Mohamed Bedjaoui, alors chef de la diplomatie algérienne, a lancé : "Face aux Etats-Unis, la France n'a pas le même poids en Algérie." Une petite phrase due en partie au froid qui caractérisait alors les relations franco-algériennes en raison de la polémique sur les "bienfaits" de la colonisation. Car, quoi qu'en disent les responsables algériens, les Français n'ont pas "laissé passer leur chance".

Si elle ne joue pas encore dans la même cour que les Etats-Unis et la Russie, la France est en train de rattraper le temps perdu. Elle reste le premier fournisseur de l'Algérie (4,3 milliards de dollars d'exportations en 2006, soit 20 % du marché) et devance toujours des pays comme l'Italie et la Chine.

Fait plus nouveau : depuis six ans, ses investissements en Algérie croissent de façon vertigineuse. En 2000, ils n'étaient que de 49 millions de dollars. En 2005, ils sont passés à 140 millions de dollars et en 2006, à 294 millions. La France est ainsi le second investisseur en Algérie, tous secteurs confondus (mais le premier investisseur, hors hydrocarbures), juste derrière les Etats-Unis, mais avant l'Espagne et l'Egypte.

De leur côté, les pays du Golfe, comme le Koweït, se montrent intéressés par des secteurs tels que les télécoms, la pétrochimie, l'hôtellerie, les services. Ces investissements directs étrangers (IDE) sont essentiels à l'Algérie pour lui permettre de faire décoller son économie, hors hydrocarbures, et régler son problème de chômage (75 % des inactifs ont moins de 30 ans).

Objet de toutes les convoitises, l'ancienne colonie française se sait promise à un bel avenir. Ses réserves de pétrole la placent au 3e rang des pays producteurs d'Afrique (après le Nigeria et la Libye). D'où, sans doute, l'empressement et la sollicitude des Etats-Unis...


Florence Beaugé, Le Monde

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